Sur l’instrumentalisation de la Justice, la persécution politique et l’avenir de la réconciliation nationale en République Démocratique du Congo
Il y a trois mois, je m’étais exprimé pour la première fois depuis mon départ du pouvoir en janvier 2019. À cette occasion, j’avais tiré la sonnette d’alarme sur l’état de plus en plus préoccupant de la Nation et proposé un plan en douze points pour mettre fin à la crise en cours.
Mes propos d’aujourd’hui se justifient par le fait que la Nation se trouve à un moment décisif et que son avenir est en danger. Je parle, non par faiblesse ni par crainte pour mon destin personnel, mais par profonde inquiétude pour l’avenir de mon pays.
Le simulacre de procès intenté contre ma personne, les arrestations de nombreux officiers supérieurs et la gouvernance téméraire qui prévaut dans le pays ne sont pas des événements isolés : ce sont les symptômes d’une crise plus profonde de leadership, de justice et d’orientation nationale.
Sur le procès intenté contre moi
En mai 2025, le Sénat a illégalement et inconstitutionnellement levé les immunités de l’ancien Président et Sénateur à vie, une garantie constitutionnelle conçue pour éviter la tentation de s’accrocher indéfiniment au pouvoir par tout Président en exercice, par peur de poursuites judiciaires infondées une fois son mandat achevé.
Cette décision sans précédent a ouvert la voie à une juridiction militaire de Kinshasa pour engager des poursuites contre ma personne pour des accusations de trahison, crimes de guerre, meurtre, viol, torture, soutien à des insurrections armées et complicité avec l’AFC/M23.
Ces accusations mensongères, politiquement motivées, sont orchestrées par un leadership désespéré d’échapper à ses propres responsabilités. En réalité, tout au long de la procédure décriée, aucune preuve tangible n’a été présentée pour étayer ces accusations.
Ce procès n’a rien à voir avec la justice : il s’agit de réduire l’opposition au silence et de tenter d’écarter un acteur politique majeur de la scène nationale, afin de permettre au régime de régner sans partage et indéfiniment, comme en témoigne sa récente tentative de modifier la Constitution à cette fin.
Sur l’arrestation des généraux et la militarisation de la politique
Au cours des quatre dernières années, près de soixante officiers supérieurs de l’armée et de la police ont été arrêtés et détenus sans procès. Certains sont morts en prison à la suite de tortures et du refus de leur accorder des soins médicaux vitaux. Alors que ce procès se déroule, le régime s’est même retourné contre des officiers et généraux considérés comme proches. Depuis juillet 2025, de nombreux hauts gradés — y compris l’ancien Chef d’État-major général des FARDC et le Conseiller militaire en chef du Président — ont été arrêtés, accusés d’avoir comploté pour l’assassiner et renverser le gouvernement.
Ces hommes, qui ont consacré leur vie à la défense de la Nation, sont désormais étiquetés comme conspirateurs. Le régime est allé jusqu’à prétendre que des agences de renseignement étrangères auraient fourni les noms des prétendus putschistes. Pourtant, aucun processus judiciaire transparent n’a été engagé. Il est largement admis que ces arrestations relèvent de purges politiques visant à éliminer des figures soupçonnées de loyauté envers l’administration précédente.
Les conséquences de cette témérité sont graves. En persécutant ces commandants et officiers, le régime affaiblit les FARDC, notre armée nationale, mine le moral des troupes et menace la sécurité même de l’État. Un dirigeant qui emprisonne injustement ses propres officiers et généraux ne renforce pas la République — il la déstabilise.
Sur la corruption et le pillage familial
Les fausses accusations de trahison à mon encontre ne servent qu’à détourner l’attention des nombreux cas de corruption, de mauvaise gouvernance, de tribalisme et de népotisme qui gangrènent son propre entourage. Le peuple congolais connaît la vérité : sa famille et ses alliés politiques sont profondément impliqués dans le pillage des provinces riches en minerais du Katanga, siphonnant les ressources publiques tandis que les citoyens ordinaires continuent de vivre dans une pauvreté abjecte. Nul ne peut parler de justice en présidant à un vol systémique au cœur même de son régime.
Sur la paix et la réconciliation nationale
En dépit d’un accord de paix récemment signé avec le Rwanda, le sang continue de couler à travers le pays. Au Nord, l’ADF, les FDLR, la CODECO et des centaines de groupes armés, approvisionnés en armes et munitions par le gouvernement, continuent de massacrer des civils et de cibler des communautés rivales.
Lors d’un récent séjour à Goma et Bukavu, j’ai rencontré des responsables religieux et des acteurs de la société civile qui m’ont parlé de leur persécution et de leur abandon par le régime en place. Leurs appels demeurent sans réponse, leurs voix sont ignorées, tandis que l’administration actuelle s’accroche à l’illusion que des solutions bricolées apporteront la paix.
La réconciliation ne sera pas obtenue par ces accords ou par des procès sélectifs. Elle exige un dialogue authentique, réunissant autour de la table toutes les parties prenantes (responsables religieux, société civile, communautés et acteurs politiques). Sans cela, le Congo restera prisonnier de cycles de violence et de contre-violence.
Sur les violences contre les missions diplomatiques
Alors même que le régime réclame le soutien du monde, il a montré son mépris pour les normes internationales. Lors d’un rassemblement à Kinshasa, sa milice urbaine, connue sous le nom de « Forces du Progrès », a attaqué plusieurs missions diplomatiques, y compris les ambassades des États-Unis, de la France, du Kenya, de l’Ouganda et du Rwanda — un acte téméraire qui a mis des vies en danger et violé la sacralité des enceintes diplomatiques.
Appel aux partenaires internationaux
J’exhorte les partenaires du Congo à regarder au-delà des apparences. Les procès, arrestations et persécutions en cours en RDC n’ont rien à voir avec la responsabilité ou la justice. Ils visent plutôt à consolider un pouvoir, à éliminer l’opposition et à détourner l’opinion publique de la corruption et de l’insécurité persistantes.
Soutenir cette voie ne mènera pas à la paix. Elle n’apportera pas justice aux victimes. Elle ne fera qu’approfondir les divisions et affaiblir le Congo.
En conclusion, l’histoire ne nous jugera pas sur les accusations que nous nous lançons les uns aux autres, mais sur le courage que nous montrerons à unir le peuple congolais et à répondre à ses véritables besoins. Nous avons toujours plaidé pour le dialogue, comme le meilleur moyen d’atteindre une réconciliation véritable, et non cosmétique. Cela avait été accompli en 2003, jusqu’à notre départ du pouvoir.
Soyons clairs. Premièrement, aucune réconciliation véritable n’est possible tant que les violations des droits humains, les poursuites politiques et la persécution de la société civile et des leaders de l’opposition persistent. Deuxièmement, si ces politiques mal avisées se poursuivent, les conséquences dramatiques qui en découleront pour la Nation et la région seront de la seule responsabilité du régime en place.
Joseph Kabila Kabange
Ancien Président de la République Démocratique du Congo